Et toi Vincent, que penses-tu du Vision Pro ?

En tant qu’expert en technologies immersives/XR et du haut de mes 20 ans d’expérience en nouveaux modes d’interactions, il est vrai que j’ai vu passer – c’est-à-dire apparaître/disparaître/persister/muter – un bon nombre de technologies et de produits voulant chacun révolutionner son secteur.

Pour faire gagner du temps aux impatients, vous trouverez d’abord ma réponse en mode TLDR (too long didn’t read) et pour les plus curieux une analyse plus poussée sur l’Apple Vision Pro et son adoption.

TLDR

  • 👍 Le premier élément qui saute aux yeux (pun intended) c’est la qualité de l’écran et plus généralement du passthrough (capture du monde et retransmission dans le casque). –La réalité mixte– le Spatial Computing est fluide et sans distorsion contrairement aux Quest. Nous pourrions même dire que c’est agréable. 
  • 👎 L’AVP manque toutefois d’expériences en tirant réellement partie du monde réel, l’intégration de la perception du monde (objets, murs, obstacles) est pour l’instant très limitée. L’AVP est loin derrière ce qu’il est faisable sur HoloLens et Quest.
  • 👍 Le fait de pouvoir passer de passthrough à immersif est un élément que beaucoup de créateurs XR voulaient afin de rendre polyvalent les casques. Mais nous l’attendions comme une solution pour ajouter des cas d’usages immersifs aux casques AR (comme sur le Magic Leap 2). Ici, Apple nous fait prendre son casque VR pour une vessie AR qui ferait magiquement aussi de l’immersif. Le cas d’usage reste pertinent avec la notion d’internal focus et d’external engagement
  • 👎 De son côté, la molette physique permettant de passer progressivement de l’un à l’autre est marrante mais déstabilisante. A voir si Apple nous cache un usage surprise de celle-ci ou si elle disparaîtra avec le temps.
  • 👍 L’EyeSight – écran externe diffusant une reconstitution du regard – permet aux gens autour de l’utilisateur de percevoir son degré d’immersion et s’ il est “avec eux”. Cerise technologique sur le gâteau, l’écran est lenticulaire, c’est-à-dire qu’il affiche une vue 3D du haut visage afin de donner l’impression que le regard de l’utilisateur est vu à travers le casque et non projeté à la surface comme un écran conventionnel.
  • 👍 Le hand-tracking et l’occlusion (superposition) des mains sur l’interface est très bonne et bien intégrée. Il y a encore une légère latence sur le tracking, détourage et occlusion dans les applications mais largement optimisable par une mise à jour.
  • 👍 Les vidéos spatialisées (certains souligneront un comeback des vidéos 3D / stéréoscopiques) sont d’une qualité incroyable. Le service de streaming comme Apple TV ou nos propres “vidéos spatiales” – capturées avec un iPhone dernier cri – ressortent impeccablement
  • 👎 Au niveau applications, le store regorge d’applications conventionnelles (iPad) pouvant s’afficher autour de l’utilisateur. Nous attendons encore des configurateurs, des outils de conception 3D, de l’agencement d’intérieur et des jeux MR… Nous verrons l’émergence de services de streaming vidéo et de jeux vidéo (ex:GeForceNow) pour donner facilement accès à des catalogues existants.
  • 👍 L’écosystème Apple reste un bijou de simplicité et d’unification. Il est ainsi possible de prendre le contrôle de son Mac en 2 clics pour avoir des écrans virtuels géants. Le graal pour ceux qui seraient prêts veulent travailler… à condition de tolérer les 650gr sur la tête.
  • 👍 L’AVP peut s’utiliser comme un ordinateur (ou un terminal vers son ordinateur) et l’utilisateur pourra avoir la même efficacité si il appaire un clavier et une souris

Pour conclure

L’Apple Vision Pro est un très beau produit, visuellement et technologiquement. Comme son nom “Pro” l’indique, c’est du haut de gamme qui pourrait être suivi par un version normale plus accessible. Toutefois, Pro ne veut pas dire grand public, nous sommes plus proches du programme Google Glass Explorer. 

A la différence des autres produits d’Apple qui proposaient une (r)évolution d’un usage existant (baladeur, téléphone, tablette) – en terrain connu -, avec l’Apple Vision Pro, Apple se lance dans un usage émergent – en terre inconnue – et seule la contribution des créateurs, fournisseurs de services et la perception des utilisateurs permettront de confirmer une itération supplémentaire.

A ce prix-là (3 500€), Meta / Microsoft / HTC aurait sûrement pu faire un produit légèrement moins luxueux et à l’UX moins léchée mais avec une galerie d’applications plus conséquente. 

Les usages de ce casque Pro sont limités et, selon moi, ne justifient pas un achat pour un particulier ni une entreprise voulant le déployer. L’achat potentiel permettra d’explorer des cas d’usage potentiels, se familiariser avec la technologie.


Long Read

Le matériel

Le couple caméra/écran permet une restitution de très bonne qualité. Malgré un léger manque de luminosité et vibrance 🎨, il est agréable voire naturel de regarder et interagir avec le monde réel et les autres personnes dans la pièce sans subir ni distorsions ni artefacts visuels.

L’appareil a un poids non négligeable de 650gr auquel s’ajoute 350gr de batterie à mettre dans la poche. Un poids lié à un choix des matériaux haut de gamme et son condensé de technologie (écran EyeSight extérieur, moteur d’alignement IPD, 12 caméras, capteur LiDAR, caméra TrueDepth) mais qui place l’Apple Vision dans les plus lourds du marché des casques autonomes. 

Pour comparaison: HoloLens 2 = 570gr, Quest 2 = 500gr, Quest 3 = 515gr, Quest Pro = 750gr

Le déport de la batterie (comme Magic Leap) est un bon choix mais ne suffit pas à alléger la machine et rajoute ce disgracieux voire perturbant câble de connexion.

Le poids est malheureusement très mal réparti (tout à l’avant comme sur les premiers casques VR et HoloLens 1) et nécessite donc un ajustement particulier de la sangle pour maintenir l’expérience agréable plus de 30min.
C’est malheureusement un problème généralisé dans l’industrie des casques XR (exception faite des smart glasses) qui n’ont pas encore atteint le niveau de miniaturisation suffisant ni trouvé l’ergonomie optimale pour maintenir un casque sur la tête sans encombrer ou décoiffer son porteur.

Voici un démontage complet du casque par ifixit.

L’UX

L’interaction se fait au doigt et à l’œil (2nd pun intended) de manière très naturelle après les 5 secondes de surprise initiale. 

L’Eye tracking est efficace même s’il manque pour l’instant de feedbacks visuels ou sonores pour confirmer que nous regardons au bon endroit. Disons qu’il faut faire confiance à la machine. Il suffit de regarder un élément (bouton, icône…) et de faire un air-tap 👌 sans lever ni orienter le bras (une sorte de version améliorée de HoloLens 1) mais avec beaucoup plus de confort, adieu le syndrome du Gorilla Arm

L’interaction directe (toucher les boutons) n’est pas mise en avant dans cette version de l’OS. L’UX pourrait évoluer en fonction des retours utilisateurs et des cas d’usages qui émergeront.

AR ou VR ?

Grand débat qui fait râler les experts du domaine, est-ce un casque AR ? VR ? MR ? XR ?

Apple a choisi Spatial Computing pour se démarquer et éviter d’empiéter explicitement sur les plates bandes des autres. Le choix du terme reste quand même énigmatique pour le grand public, encore plus si nous le traduisons par “ordinateur spatial” 🚀. 

Si nous disons que c’est un ordinateur qui s’intègre et comprend l’environnement qui l’entoure, “Reality-aware computer” aurait pu faire l’affaire. Dommage.

Revenons à la AR, Apple a fait le bon choix de faire démarrer le casque en mode AR (passthrough), l’effet waouh est garanti et l’accompagnement de l’utilisateur se fait sans accroc. L’utilisateur peut ensuite choisir de s’immerger en mode VR, deuxième effet waouh. C’est donc un casque VR qui veut se faire (et qui le fait bien) passer pour un casque AR.

La stratégie et les apps

Avec une compatibilité iPad, le store Apple Vision est doté quantitativement mais pas vraiment qualitativement. Nous avions eu la même expérience avec Microsoft qui avait gonflé artificiellement le nombre d’applications compatibles HoloLens en incluant toutes les apps Windows UWP.

La majorité des usages mis à en avant sont des fenêtres en AR et me fait penser au parti pris de  Meron Gribetz le CEO de Meta (2013-2019) qui voulait remplacer les écrans conventionnels par des écrans virtuels. 

Cet aspect outil bureautique est intéressant mais surprenant si on le tente la comparaison avec les usages Quest. 

Cette stratégie s’averera gagnante quand le prix du casque sera inférieur au prix d’un ordinateur ou quand il pourra complètement le remplacer en termes d’ergonomie, performance et d’accessibilité.

Mieux que le Quest 3 ?

Tout le monde veut comparer l’AVP au Meta Quest 3. C’est une réaction naturelle mais c’est surtout une erreur de perception. Ils sont effectivement sortis à quelques mois d’intervalle, utilisent des technologies similaires (VR+Passthrough) avec un gabarit identique.

Mais ils sont chacun sur un segment – c’est-à-dire un niche d’utilisation – qui lui est propre et qui ne s’oppose pas. 

L’un est grand public et orienté loisirs/social, l’autre est haut de gamme et veut marquer le coup en termes de qualité et d’ergonomie. Je vous laisse deviner lequel est lequel.

Ils se différencient aussi par leur prix (500€ vs 3500€) qui quoi que l’on en dise impacte fortement la qualité du produit fini.

Ayant eu l’occasion d’utiliser le Meta Quest Pro (sorti en octobre 2022 à 1500€) ou même Magic Leap One (2018 à 2000€), ils sont eux aussi sur leur segment qui les place dans des cadrans distincts d’un matrice de comparaison.

Chaque entreprise a des partis pris en termes d’ergonomie de technologie ou même de prix afin de rendre le produit adapté à un marché voulu à un instant T ou une stratégie marketing. Il n’y a pas de moins bien ou de mieux, juste des choix et des préférences utilisateurs.

Certains font l’analogie en disant que Quest est l’équivalent d’un Nokia par rapport à l’AVP qui serait un iPhone. Ils imaginent donc une évolution de l’un à l’autre. Là encore c’est inadapté. Il faudrait plutôt les comparer à une GameBoy vs PlayStation (désolé pour la référence de geek-boomers). Ce sont 2 produits appartenant à des niches différentes et qui pourraient éventuellement avoir un descendant hybride qui ferait converger les usages sur une seule plateforme.

One XR Device to rule them all ⭕

En tant que consultant, mes clients me demandent régulièrement de leur trouver LE meilleur casque. 

La motivation (et non le besoin) d’avoir “LE” meilleur provient des objectifs de l’entreprise qui sont souvent déclinés de “réduire les coûts” ou “gagner plus”): rationaliser les choix, homogénéiser l’écosystème et simplifier la maintenance

Mais le choix d’”UN” casque doit être piloté par le besoin réel:

  • se démarquer pour innover 
  • rattraper un retard (se précipiter)
  • résoudre un problème (nouveau service, productivité, sécurité, accessibilité, réglementation)
  • l’urgence: quick-win ou long shot

Si l’entreprise a plusieurs besoins, il faudra potentiellement se résigner à choisir plusieurs solutions.

A titre informatif, j’utilise souvent les critères ci-dessous pour comparer les différentes plateformes. Il faut ensuite pondérer ces critères en fonction du contexte et du besoin réel afin de prendre la bonne décision:

  • prix
  • usage: loisirs, simulation, productivité, formation, assistance à distance, …
  • cible: grand public, entreprise, marché de niche (ex:chirurgie)
  • secteur: consommation, industrie, médical, …
  • maturité et phase de la courbe d’adoption: innovateur, early adapters/influenceurs, majorité…
  • ergonomie: face tracking, eye tracking, hand tracking, manettes…
  • catégorie (pour les puristes): AR, VR, Passthrough
  • écosystème et contenus: store, contenus sur mesure,..
  • technologie et compétences nécessaires
  • intégration tierce: MAM, MDM, sécurité, fournisseurs de contenus

Dans un cas client récent, nous avons finalement décider de:

  • équiper les techniciens de maintenance sous-traitées avec des smartglasses (Realwear) pour l’assistance à distance
  • équiper les équipes internes d’installation et maintenance avancée avec des casques MR (HoloLens) pour avoir des instructions précises et une IA de diagnostic automatisé
  • équiper les centres d’onboarding avec des casques VR (Quest) pour fournir de formations immersives (hard skills, soft skills)

Pour conclure

L’Apple Vision Pro est un très beau produit, visuellement et technologiquement. Comme son nom “Pro” l’indique, c’est du haut de gamme qui pourrait être suivi par un version normale plus accessible. Toutefois, Pro ne veut pas dire grand public, nous sommes plus proches du programme Google Glass Explorer. 

A la différence des autres produits d’Apple qui proposaient une (r)évolution d’un usage existant (baladeur, téléphone, tablette) – en terrain connu -, avec l’Apple Vision Pro, Apple se lance dans un usage émergent – en terre inconnue – et seule la contribution des créateurs, fournisseurs de services et la perception des utilisateurs permettront de confirmer une itération supplémentaire.

A ce prix-là (3 500€), Meta / Microsoft / HTC aurait sûrement pu faire un produit similaire bien que légèrement moins luxueux et à l’UX moins léchée mais avec une galerie d’applications plus conséquente.

Les usages de ce casque Pro sont limités et, selon moi, ne justifient pas un achat pour un particulier ni une entreprise voulant le déployer. L’achat potentiel permettra d’explorer des cas d’usage potentiels, se familiariser avec la technologie.

Un merci particulier à Tina Nigro et Tom Krikorian pour m’avoir permis d’être dans les premiers français à tester l’Apple Vision Pro et qui développent une expertise incomparable sur la réalité augmentée (ou mixte) depuis plusieurs années.


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